Tiré de Textes sacrés et textes profanes de l'Ancienne Egypte p.57-60 et p.129-134

Ces textes sont inscrits sur un papyrus actuellement conservé au musée de Leyde et qui contient plusieurs hymnes adressés au dieu Amon. Le papyrus est malheureusement endommagé par endroits. Ne sont traduits ici que le texte des hymnes complets, ou presque. Daté de -1280, pendant le règne de Ramsès II, vers - 1300 à -1235.

Le Mire

les illustrations ne sont là qu'à titre décoratif, elles n'illustrent pas les propos et souvent ne sont pas contemporaines des textes.

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L'Ennéade divine, issue du Nouou, Se rassemble lorsqu'elle te voit, toi, le dieu au grand prestige, Le Seigneur des seigneurs, qui s'est façonné lui-même, Le maître des créatures. Ceux qui étaient dans l'obscurité de la nuit, soudain il brille pour eux, Illuminant leurs visages d'un autre devenir. Ses deux yeux étincellent, ses oreilles sont ouvertes, Tous les corps sont habillés d'or lorsque s'avance sa lumière. Le ciel est d'or, le Nouou de lapis-lazuli, La terre est frappée par des flèches de turquoise lorsqu'en eux, il se lève. Les dieux recouvrent la vue, leurs temples s'ouvrent. Les hommes peuvent à nouveau voir et contempler, grâce à lui. Les arbres frémissent en le voyant. Ils se tournent vers l'UNIQUE, tandis que leurs feuilles se déploient. Les poissons, dans l'eau, font des bonds, Ils sautent en l'air, dans leurs étangs, pour l'amour de lui. A sa vue, le bétail danse, les oiseaux agitent leurs ailes, Car ils le connaissent en son heureux moment Et vivent de le voir tout au long du jour. Tous les êtres sont sur sa main, qui les contient tous; Aucun autre dieu ne peut leur donner la liberté d'être, si ce n'est Sa Majesté Amon, Car rien ne peut se faire sans lui, Le grand dieu, la vie de l'Ennéade [...]

O Horakhty, tu navigues, Accomplissant la même tâche qu'hier pendant la durée du jour. Tu crées les années et tu lies les mois, Les jours et les nuits et les heures suivent tes pas. Tu te renouvelles aujourd'hui plus qu'hier; Pénétrant dans la nuit, déjà tu appartiens au jour, O veilleur unique, dont l'abomination est le sommeil. Les hommes sont allongés, mais tes yeux demeurent vigilants, Toi qui déclos des millions d'êtres avec ton beau visage. Il n'existe aucun chemin sans toi sur la terre. Tu es l'étoile à la marche rapide parmi les constellations, Tu parcours la terre en un instant, sans difficulté, Tu navigues dans le ciel, tu traverses l'au-delà souterrain. Sur chaque route est la lumière divine, allant et venant sur les visages, Car tous les hommes vers elle se tournent. Hommes et dieux disent: Bienvenu ! Bienvenu ! [...]

La lance de cuivre est fichée dans Nik, le serpent, il tombe, le dard est avec lui. Les rebelles sont promis au massacre, hachés menu... Amon-Rê les découpe, ferme Dans le souci de châtier les êtres vils, tandis que son cœur est joyeux. Les sanctuaires témoignent de sa puissance. A sa voix, les ennemis ne sont plus. Et la barque sacrée, pour des millions d'années, navigue bellement ; L'équipage est dans l'allégresse, les cœurs sont heureux, Car l'adversaire du Maître de l'univers est tombé. Il n'y a plus de rebelles qui soient encore dans le ciel ou sur la terre. Le ciel, Thèbes et Héliopolis, l'au-delà souterrain Et ceux qui y résident exultent pour leur maître, Lorsqu'ils peuvent le contempler, puissant en ses apparitions radieuses, Pourvu de vaillance et de force, ayant pouvoir sur ses formes. Tu triomphes, ô Amon-Rê Ta lance a repoussé l'être au cœur pervers. [...]

O dieu, qui lui-même s'est façonné sans que l'on puisse reconnaître ses formes ! Couleur parfaite, venue à l'existence comme une émanation de l'Etre sacré Dieu qui a construit ses images et s'est créé de lui-même ! Belle Force divine, qui a rendu parfaits son cœur et son esprit, Qui a lié sa semence à son corps, Afin de produire un neuf en son sein. Forme mystérieuse, aux belles renaissances ! [...]

Louanges à toi ! Adorations pour ton prestige ! Les rayons du disque céleste appartiennent à ton visage. Le Nil jaillit de sa caverne pour les dieux primordiaux que tu as créés. La Terre est établie pour ton image (l’homme). A toi seul appartient ce que fait croître Geb. Ton nom est puissant et pesante ta gloire. Même les montagnes ne peuvent connaître tes merveilles... et ta force. O faucon divin aux ailes éployées, Qui fond sur qui l'attaque et le saisit en l'espace d'un instant. Lion mystérieux, aux rugissements puissants, Enserrant fortement ce qui vient sous ses griffes. Taureau devant sa ville, lion devant ses sujets, Fouettant le sol, de sa queue à l'encontre de qui l'assaille. La terre tremble quand il lance sa voix, Et tout ce qui existe redoute son prestige. Dieu à la force immense, en dehors de qui aucun autre n'existe ! Puissance divine, aux belles renaissances qui fait partie de l'Ennéade !

Déliant les maux, chassant les tourments, Médecin rendant la vue à l'œil sans remèdes, Il ouvre les yeux et repousse les maladies... Secourant qui il veut jusque dans l'au-delà, Sauvant quiconque de son destin au gré de son désir. Il possède des yeux et des oreilles, Et un visage sur tous ses chemins pour qui l'aime. Il entend les prières de celui qui l'appelle, Et vient de loin, en un instant, vers celui qui l'implore. Il peut prolonger le temps de vie ou le diminuer, Il donne plus que sa destinée à celui qui l'adore. Le nom d'Amon est un charme magique sur les flots du Nouou, Même le crocodile n'a puissance sur lui quand il est prononcé Les vents furieux sont repoussés, le vent mauvais fait volte-face. Paisible est le visage de l'être qui se souvient de lui, Bénéfique est son nom au temps de la discorde. Il est une douce brise pour celui qui l'invoque, Il secourt l'homme épuisé, Dieu compatissant aux desseins bénéfiques. Il appartient à l'homme qui devant lui se courbe, en son temps de malheur. Il est plus utile que des millions pour qui le place en son cœur. A cause de son nom, un seul homme est plus fort que des centaines de mille. Il est assurément le protecteur parfait, Bénéfique en ses actions, et qui ne peut être repoussé. [...]

Les huit dieux vinrent à l'existence comme ta forme première, jusqu'à ce que, solitaire, tu les mènes à leur terme. Mystérieux est ton corps parmi les grands dieux, O Amon, le caché, en tête des divinités. Tu t'es transformé en Tatenen, Pour mettre au monde les dieux primordiaux, en ton Temps premier. Ta beauté est exaltée, toi, le Taureau de sa mère. Tu es éloigné, ô résident du ciel, ferme et stable, Soleil ! Sois le bienvenu, père qui as engendré les fils, Qui as fait des héritiers bénéfiques dépendant de ta procréation. Tu as commencé à te manifester, alors que rien encore n'existait, Mais la terre ne fut pas privée de toi, lors de la première Fois, Quand l'ensemble des dieux vint à l'existence en ta suite! [...] Les divinités de l'Ennéade entière sont tes membres. Chaque dieu uni à ton corps constitue ton image. Tu as jailli le premier, tu as commencé le Commencement, O Amon, qui cache son nom aux autres divinités, Le grand Ancien, distinct de celles-ci, Tatenen, forgeant lui-même sa forme pour être Ptah. Les doigts de son corps sont les Huit. Se levant en soleil dans le Nouou, Il renouvelle sa jeunesse... Apparaissant radieux sur son trône, selon le désir de son cœur. Il régente tout ce qui est, grâce à sa puissance. Il noue la royauté du temps éternel jusqu'au temps infini, maître unique. Sa forme, depuis la Fois première, déborde de lumière Tout ce qui existe se tait à cause de son prestige. Il caquette de la voix, grand caqueteur, à l'endroit de sa création solitaire, Lorsqu'il commença à parler au sein du silence. Il déclôt les yeux des hommes et leur permet de voir. Il commença à crier dans le silence de la terre, Et son rugissement parcourut l'univers. Il est le dieu sans pareil, Qui a donné naissance aux êtres et les fait vivre. Il permet à chaque homme de connaître le chemin où il doit marcher, Et leurs cœurs revivent quand ils le voient. A lui appartiennent les Lumineux, sacrés et remarquables. [...]

Commençant d'exister lors de la Fois initiale, Amon vint à l'existence le premier, sans qu'aucun autre connût sa forme jaillissante. Aucun dieu n'existait avant lui. Il n'y avait aucun dieu avec lui qui pût dire sa forme. Il n'avait pas de mère à l'intention de qui fût établi son nom. Il n'avait pas de père qui l'ait engendré et qui ait dit: « C'est moi! » Dieu qui façonna lui-même son veuf, Puissance divine aux naissances secrètes, auteur de sa perfection, Dieu divin, venu de lui-même à l'existence. Les autres dieux apparurent après qu'il eut commencé d'être. [...]

Deux dieux, entre autres, inspirèrent l'imagination des hommes, et ceux-ci leur prêtèrent des aventures qui sont autant de leçons de vie: Rê, le démiurge bienfaiteur du premier temps - Osiris, le dieu bénéfique de la végétation et de la terre fertile. Le soleil comme les plantes renaissent, sans fin, chaquejour ou chaque saison. Rê et Osiris devinrent naturellement les dieux exemplaires de l'immortalité assurée. Mais, comme au temps du début du monde, les forces hostiles à l'ordre et à la paix tranquille sont toujours latentes; et le grand combat primordial se renouvellera en des luttes quotidiennes ou saisonnières, d'où les puissances du Bien sortiront toujours victorieuses.

Dans le nouvel univers, l'astre vogue au ciel, sur le dos de la déesse céleste, dont le nom peut être Nout, Hathor ou Isis, selon les époques. Le voyage se fait, comme sur le Nil de la terre, dans une barque; le soleil dispose de deux embarcations sacrées: l'une pour la traversée diurne sur le Nil du ciel-d'en-haut, l'autre dans le ciel-d'en-bas pour là traversée nocturne sur le Nil souterrain. Le passage d'un navire à l'autre se fait en des points fixes: l'Orient et l'Occident.

Rê apparaît radieux dans son horizon; son Ennéade est en sa suite. Lorsqu'il sort de la place secrète, un frémissement s'empare de l'horizon oriental du ciel, à la voix de Nout ; elle sacralise les chemins de Rê, devant le Grand, tandis qu'il poursuit son cycle. « Dresse-toi donc, ô Rê, qui es dans ta cabine, afin que tu goûtes les brises et que tu inspires le vent du Nord, que tu avales la "moelle épinière" et que tu prennes le jour en tes filets, que tu respires Maât et que tu organises ta Compagnie, cependant que ta barque sacrée navigue vers le ciel inférieur. Les Grands tremblent en entendant ta voix. Tu ordonnes tes os, rassembles tes membres et tournes ton visage vers le bel Occident. Tu reviens ainsi, nouveau, chaque jour, seigneur du plaisir. Tu es cette image d'or qui supporte l'ensemble du disque; et le ciel frémit tout entier lorsque tu reviens, nouveau, chaque jour. L'horizon est en liesse et ceux qui sont dans les cordages de ta barque jubilent. »

note : la moelle épinière est considérée comme le réceptacle des pouvoirs magiques Il est fait une allusion claire à Osiris dans ce texte, le dieu démembré

L'aube est conçue comme une vaste ouverture de l'univers supérieur aux puissances bienfaisantes de la lumière et des souffles des vents ...

Le ciel s'ouvre, la terre s'ouvre, l'Occident s'ouvre, l'Orient s'ouvre, s'ouvrent aussi les deux chapelles de la Haute et de la Basse Égypte, les portes et les vantaux se déploient pour Rê, lorsqu'il sort de l'horizon. Les deux portes de la barque de la nuit s'ouvrent pour lui, tandis que pour lui se déploient les deux vantaux de la barque du jour. Il respire Maât, il crée Tefnout, tandis que ses compagnons le suivent.

note : Maât est la Déesse de la Vérité et de la Justice - deux qualités morales inséparables qui s'incarnent dans la même divinité. Maât est la condition même de l'ordre du monde; « l'offrande de Maât » était un moment important du rituel religieux accompli, chaque jour, dans les différents temples d'Égypte.

Rê, lumière des vivants de la terre, poursuivra son voyage sur le fleuve-d'en-haut, dans son domaine supérieur, et traversera ses champs, comme tout Égyptien; ciel-d'en-haut et ciel-d'en-bas sont conçus comme des reflets de la terre, ce dernier, seulement, inversé. Un univers de transparence, de correspondances, presque de décalque. Dans ces champs, des buttes sont habitées par des présences divines. Ainsi en cette butte verte, où réside Horakhty (" Horus-des-deux-Horizons ", une forme solaire).

Le champ des Souchets, ses murs sont en cuivre ; la hauteur de son orge est de cinq coudées, ses épis mesurant deux coudées et ses tiges trois coudées; son épeautre atteint sept coudées de hauteur, avec des épis de trois coudées et des tiges de quatre coudées. Ce sont des bienheureux mesurant neuf coudées de hauteur [sic!] chacun qui les moissonnent au côté de Horakhty.

note : cet univers qui, bien qu'imaginaire, n'en est pas moins très précis ! Le cuivre est un matériau dont la radiance est moindre que celle de l'or, lequel constitue la chair du ciel, mais qui teinte beaucoup d'éléments lumineux du ciel supérieur, et forme le corps des étoiles. La coudée égyptienne mesure 52 centimètres.

Lorsque le soleil disparaît au Ponant pour les yeux des vivants, une aube nouvelle luit en Occident pour les défunts qui se pressent sur les rives du fleuve-d'en-bas, attendant cette lumière qui passe dans son Navire de la Nuit et leur donne, le temps d'un instant, la clarté et les sou ffles. Rê a deux aubes de vie, l'une pour les vivants, l'autre pour les morts.

Tu es parfait, Rê, chaque jour. Ta mère Nout t'enlace, tandis que tu te couches bellement dans l'horizon de Manou, le coeur heureux. Les morts vénérables sont dans la liesse, lorsque là-bas tu répands ta clarté pour le grand dieu Osiris régent du temps infini. Ceux qui possèdent un tombeau, leurs bras, dans leurs syringes, prodiguent à ton ka la louange et les acclamations; ils profèrent à son intention toutes leurs requêtes, après que tu as brillé pour eux. Le coeur des Seigneurs de la Douat est apaisé et tranquille après que ton doux éclat les a illuminés. Les yeux des Occidentaux à ta vue sont déclos et leurs coeurs s'exaltent lorsqu'ils peuvent te contempler. Tu écoutes aussi les suppliques de ceux qui sont dans le sarcophage, tu repousses leurs peines, tu chasses leurs maux et tu donnes à leur nez les brises de la vie. Aussi saisissent-ils les cordages de ta barque dans l'horizon de Manou. Tu es parfait, Rê, chaque jour, et ta mère Nout t'enlace.

note : Manou est l'une des désignations de l'horizon occidental. Pour les Egyptien, l'instant où la lumière passe est fugitif. Douat est le nom de l'au-delà inférieur.

Le voyage solaire n'est pas sans embûches. Les forces malfaisantes, toujours en quête de désordre, s'incarnent notamment dans la forme du serpent qui, à chaque traversée, renouvellera ses attaques. Le serpent aussi paraît très immortel aux yeux des hommes, car il renaît à chaque mue - immortel, semble-t-il, mais cependant accessible et toujours vaincu.

Quant à cette montagne de Bakhou qui sert d'étai au ciel, elle demeure à l'Orient de celui-ci; elle mesure trois cents coudées de long et cent cinquante coudées de large. Le dieu-crocodile Sobek, le seigneur de Bakhou, réside à l'est de cette montagne; son temple est en pierre herset. Il existe un serpent au sommet de cette montagne; il a trente coudées de long; huit coudées à l'avant de son corps sont en silex... « Celui qui est sur sa montagne, celui qui est en sa flamme » est son nom. Après la halte du soleil au zénith, il arriva que ce serpent tourna son regard à l'encontre de Rê ; alors survinrent un arrêt de la barque et un grand désordre dans sa conduite; le serpent, en effet, avait avalé sept coudées du grand flot. Seth lança contre lui sa lance de cuivre et lui fit recracher tout ce qu'il avait avalé. Puis il se plaça devant lui et dit sous forme d'incantations magiques: « Que la pointe de cuivre qui est en ma main te fasse faire volte-face. Je me dresse devant toi afin que la navigation de la barque redevienne harmonieuse et juste. Toi qui as regardé le soleil, bien qu'étant éloigné, cache maintenant ta tête, afin que je puisse naviguer à nouveau, fais volte-face devant moi. Je suis le mâle, celui qui va masquer ta face et refroidir ta lèvre, afin de demeurer prospère, car je suis prospère. Je suis le grand connaisseur des incantations magiques, le fils de Nout, et je place à ton encontre mon efficience. Qu'est-ce donc que cet esprit qui marche sur son ventre, sur son arrière-train et sur ses vertèbres ? Vois, je vais maintenant avec ta force dans ma main, car je suis celui qui porte la force. Je suis venu afin de m'occuper, à la place de Rê, des Akerou, afin qu'il soit en paix le soir, ayant achevé le circuit du ciel supérieur. Tu es maintenant dans les liens; c'est ce qui avait été ordonné contre toi, au préalable. Ainsi Rê se couchera en vie dans son horizon.

note : l'herset est sans doute de la cornaline. Il est fait une allusion claire à la brûlure causée par la morsure du serpent. Seth est un Dieu violent, dont la symbolique est double: menant un juste combat à l'avant de la barque de Rê, il est aussi le meurtrier de son frère Osiris. Les Akerou sont des Serpents, génies de la terre

 

Textes sacrés et textes profanes de l'ancienne Égypte. Tome 1 : Des pharaons et des hommes, préface de Pierre Grimal, Claire Lalouette, Gallimard, Paris, 1984, [ISBN: 2070701425]

 

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