Savez-vous que devant un tribunal il est beaucoup plus difficile de se défendre lorsqu’on est innocent que lorsqu’on est coupable?
Il y a dans nos prisons un nombre considérable d’innocents qui sont enfermés pour des crimes qu’ils n’ont jamais commis. On le sait parce que plus on accepte de réviser des affaires, plus on se retrouve avec des cas où l’innocence finit par triompher une fois que des enquêtes vraiment sérieuses sont entreprises, mais les affaires révisées ne sont qu’une infime part, les autres prisonniers qui clament leur innocence depuis des années, ne sont simplement pas écoutés. Il y a aussi les avancées de la police scientifique qui permettent de découvrir que des procès plus ou moins anciens sont arrivés aux mauvaises conclusions. Bien entendu parmi les innocents enfermés à tort, seule une minorité bénéficie des circonstances qui permettent de les innocenter. Les autres purgent leur peine pour un crime qu’ils n’ont pas commis et le comble c’est que pour bénéficier de remises de peines à la fin de la condamnation, il faut se reconnaître coupable (donc si on est innocent et si on continue de le clamer, il faut rester en prison plus longtemps que les autres) ; pire, ce crime dont ils sont déclarés coupables à tort, ils en ont souvent été d’abord, les victimes : des hommes dont la femme bien-aimée est morte assassinée par un autre, assassinat qu’on leur impute – une double peine pour des innocents qui se souviennent chaque jour que le vrai coupable court toujours pendant que eux subissent l’opprobre et le déshonneur déshonneur, et connaissent la ruine. Bien souvent ces innocents prennent des peines parmi les plus lourdes, justement parce que leurs cas sont les plus difficiles à défendre comme nous allons le voir.
Ce n’est pas assez que les innocents ont bien plus de mal à défendre leur cas et de sérieuses chances de se retrouver coupables pour la justice si quelque coïncidence ou circonstance fâcheuse pousse les enquêteurs à les soupçonner et si leur innocence n’a pas pu être rapidement avérée par des faits clairs dès le début de l’enquête. Parfois les preuves sont là d’ailleurs durant les premiers jours de l’enquête, mais les policiers sûrs de leurs préjugés ne les cherchent pas et les laissent disparaître. Dès lors les innocents ont généralement pour leur défense un dossier totalement vide. Et pour cause : tandis que l’accusé coupable qui plaide l’innocence, lui, n’a rien à perdre et peut facilement tenter divers mensonges qui se trouveront finalement convaincants pour les jurés d’assise même s’ils semblent branlants (puisque le doute doit toujours bénéficier à l’accusé) ils ont donc la possibilité d’utiliser leur fertile imagination pour trouver des mensonges convaincants, si un mensonge échoue, ils en inventent un autre jusqu’à en trouver un qui tienne et si jamaisces changements de version déplaisent en première instance, ils finissent par triompher en appel et mènent à l’acquittement avec des dédommagements, alors que l’accusé innocent, pendant ce temps, lui, ne peut rien aller chercher dans son imagination : il a trop peur de tout perdre avec un mensonge qui serait confondu et ce n’est en plus pas dans son tempérament de mentir. Il préfère raconter la vérité, la même qu’il a déjà racontée aux gendarmes au départ et si elle n’a pas convaincu les gendarmes, elle ne convaincra pas mieux les jurés. Il ne trouve pas de nouveaux éléments pour sa défense, et finit au trou dans le plus grand déshonneur. Ainsi Omar Raddad par exemple est toujours considéré comme coupable du meurtre de Ghislaine Marchal alors que son innocence est évidente et qu’il a été victime d’une enquête scandaleuse dans laquelle des dizaines de gendarmes auraient mérité le cachot à sa place mais ont au contraire reçu des promotions et peut-être aussi des pots de vin considérables de ceux à qui le crime profitait.
Les innocents prennent de surcroît éventuellement de plus lourdes peines, en effet plaider innocent sans pouvoir apporter de nouveau matériel tend à irriter les jurés qui prennent cette attitude pour de l’arrogance, tandis que les coupables qui plaident innocent, eux, parviennent toujours au moins à jeter le doute sur l’affaire ce qui même dans le cas où ils seraient condamnés, mène souvent à ce que les peines soient moins sévères. Ce n’est pas logique dans l’esprit de la procédure, mais c’est assez naturel : quand un juré à une conviction assez forte pour condamner mais quand même de petits doutes qu’il ne met pas au bénéfice de l’accusé parce qu’il a le sentiment que ce sont d’habiles mensonges, il préfère toutefois prononcer une peine un peu moins lourde « au cas où il se trompe ».
J’appelle donc à la plus extrême prudence quand on nous présente des hommes comme des coupables même avec parfois des arguments en apparence très solide. Dans beaucoup d’affaires, des meurtriers pour lesquels la frange fasciste (nombreuse) de la population réclamait la peine de mort et pensait tenir le coupable mordicus, il s’est avéré des années plus tard qu’il s’agissait de terribles erreurs judiciaires. Un peu de retenue avant de crier à l’évidence : nous n’avons que les documents donnés par les gendarmes ou la police pour juger. Plus d’une fois il s’est avéré ultérieurement qu’il s’agissait de documents partiaux voire contrefaits ou d’aveux invalides obtenus par la violence sur des personnes vulnérables et qui ont mené la foule en colère à exiger et obtenir les peines les plus lourdes. Et j’en appelle aussi à la plus extrême prudence dès qu’on est entendu pour un crime par les forces de l’ordre, surtout si on est un proche, car il n’y a qu’un pas entre entendu et suspecté, puis encore plus de prudence dès qu’on est officiellement suspecté, puis mis en garde-à-vue et enfin mis en examen (anciennement : « inculpé ») : presque toutes les victimes de graves erreurs judiciaires ont totalement sous-estimé voire ignoré les risques d’erreur judiciaire pensant que cela n’arrivait qu’aux autres, que le fait est rarissime. Or c’est LOIN d’être rarissime, je n’ai pas de statistiques pour la France, mais aux Etats-Unis le nombre d’innocents en prison a pu être extrapolé sur la base de ceux que l’ADN a pu innocenter à posteriori, et est évalué à 136 000 personnes enfermées pour des crimes que d’autres ont commis. Et souvent c’est la mort d’un proche qu’il faut y ajouter et pour des peines très longues.
Comment une erreur se produit-elle? Les plus courantes sont dues à
– Des témoins douteux qui « reconnaissent » une personne sous la pression des forces de l’ordre qui les poussent à témoigner contre celui qu’elles pensent être le coupable facile (il y a donc souvent un délit de sale gueule à la base, mais la sale gueule c’est parfois juste d’être pacifiste ou végétarien, si ce sont des choses qui ne reviennent pas aux goûts des enquêteurs).
– Des expertises médico-légales douteuses, souvent manipulées par le juge ou les enquêteurs qui s’adressent pour les exécuter à des collègues dont ils savent qu’ils vont « aider » à inculper le « coupable présumé », et si un expert ne trouve pas le résultat espéré il peut se voir suggérer de changer l’heure du décès selon les besoins (alibi qui protège l’accusé par exemple) et en dernier recours, des documents falsifiés ou si besoin, et c’est très courant, le recours à de nouveaux experts, jusqu’à ce qu’on tombe sur les experts qui donnent la version qui arrange le juge d’instruction ou les enquêteurs.
– Des informateurs, en particulier des indics, qui prétendent avoir une information sur qui a commis le crime pour monnayer une sortie plus rapide de prison et qui inventent une histoire de toute pièce impliquant un proche auquel il est facile de faire porter le chapeau alors qu’ils ne savent strictement rien sur l’affaire. Parfois c’est l’inverse, ce sont les forces de l’ordre elle-mêmes qui suggèrent directement à l’indic un témoignage contre une personne afin d’obtenir sa mise en examen.
– Des aveux obtenus par l’intimidation. Cela semble incroyable que des inculpés avouent un crime grave contre un proche alors qu’ils sont parfaitement innocents. Ou qu’ils accusent un autre proche totalement innocent. Pourtant l’enfer de la garde-à-vue est une raison plus-que-suffisante pour une personne qui n’a pas une idée claire des conséquences ou faible mentalement et qui espère faire cesser cette torture mentale (et parfois physique), comptant sur la suite de l’enquête pour se rétracter et faire éclater la vérité, mais la suite n’arrive pas, l’accusé se retrouve aux assises et vite condamné. La triste réalité est que même les aveux qui passent devant n’importe quelle court pour une des preuves les plus accablantes, ne valent rien tant il est courant qu’ils soient bidonnés. Les familles des victimes se retrouvent certaines de tenir le coupable et ne lâchent plus jamais, les jurés pensent que ces aveux sont des preuves accablantes surtout qu’ils contiennent des informations que seuls les enquêteurs connaissaient… Mais qu’ils ont illégalement dictées au prévenu.
– De fausses déclarations des enquêteurs et forces de l’ordre qui pensent bien faire en envoyant sous les verrous des gens qui leurs paraissent marginaux (selon leurs critères) ou dont la tête ne leur revient pas. Et pensent rendre service au pays en oubliant qu’ils laissent courir un vrai coupable.
– Enquêtes bâclées par des forces de l’ordre qui n’ont pas envie de travailler parce que c’est fatiguant de chercher un coupable et qui préfèrent mener une enquête à charge -c’est illégal mais tellement plus facile- contre le premier suspect venu… Beaucoup d’enquêteurs et de juges sont bien plus enclin à rechercher une condamnation qu’à chercher la vérité.
– Dissimulation de preuves par les forces de l’ordre, destruction de preuves et de scellées.
– Méthodes douteuses pour pousser les témoins à désigner les individus qu’il sont envie de voir inculpés.
– Interrogatoires orientés vers des résultats par des méthodes qui frôlent l’hypnose ou la torture.
– Fausses preuves laissées sur les lieux du crime par les vrais coupables.
– Pressions sur les jurés par le juge ou d’autres jurés pour leur faire voter « coupable ».
Et tous ces problèmes les milieux des forces de l’ordre qui enquêtent en ont une conscience très claire, mais restent dans le déni : c’est un secret qu’il faut étouffer. Curieusement, alors qu’officiellement le système judiciaire considère qu’il est grave de mettre un innocent en prison pour un crime qu’il n’a pas commis, dans les faits, ceux qui sont à l’origine de telles erreurs judiciaires, même une fois prouvées et exposées au grand jour, ne sont pratiquement jamais inquiétés, il n’y a aucune sanction contre eux. C’est extrêmement choquant, mais pour un enquêteur, envoyer un innocent en prison pour convenances personnelles ne comporte aucun risque.
Et pour enfoncer le clou : même quant le prisonnier est innocenté par une preuve incontestable, alors qu’on pourrait s’attendre à une procédure rapide et des excuses, l’innocenté peut rester encore des années à pourrir en prison avant qu’un juge s’en saisisse et fasse diligence pour le libérer, et les coupables de l’erreur judiciaire ne s’excusent jamais, ne reconnaissent jamais leurs torts.
Statistiques aux US : http://www.presstv.ir/detail/2013/06/22/310288/us-prisons-full-of-innocents/